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L'opération "Voisins vigilants" ne fait pas recette

Le ministère de l'intérieur table sur ce dispositif de collaboration citoyens-police, inspiré des pays anglo-saxons.

Par Laurent Borredon

Publié le 04 août 2011 à 12h14, modifié le 04 août 2011 à 12h14

Temps de Lecture 4 min.

Le ministre de l'intérieur, Claude Guéant.

C'est l'un des éléments-clés de la politique de prévention de la délinquance relancée par Claude Guéant depuis son arrivée au ministère de l'intérieur en février : la "participation citoyenne". Le système de "Voisins vigilants", qui existe discrètement depuis 2007, surtout pour prévenir les cambriolages, concernait 29 départements en juin. Malgré un accueil mitigé de l'initiative, la Place Beauvau souhaite en mailler le territoire.

Dans une circulaire du 22 juin, le ministre a annoncé aux préfets sa volonté d'"étendre la mise en œuvre du dispositif" en leur demandant de "promouvoir le concept". Le but : faire diminuer, "dans les quartiers, les lotissements ou les zones pavillonnaires", les "cambriolages, démarchages conduisant à des escroqueries, dégradations et incivilités diverses" grâce à des habitants interlocuteurs privilégiés de la police ou de la gendarmerie.

Le ministre va jusqu'à envisager de transformer les volontaires en "collaborateurs occasionnels du service public". Ce statut, autorisé dans le domaine de la sécurité par la Loppsi 2 du 15 mars, rend possible une rémunération.

"CLIMAT DE DÉLATION"

Dans le Haut-Rhin, département pilote, le préfet avait, dès novembre 2010, lancé l'expérimentation dans cinq communes : Ribeauvillé, Lutterbach, Cernay, Soultz et Altkirch. Des communes rurales, mais pour la plupart situées dans l'orbite de Mulhouse. Neuf mois plus tard, personne n'a donné suite. Dès le 7 novembre, un seul couple se présente à la première réunion, à Soultz (7 400 habitants). A Lutterbach (6 150 habitants), le maire (divers droite), André Clad, a organisé des réunions dans deux quartiers. Résultat : "Nous n'avons pas eu de volontaires." Il hésite. "Le problème, c'est que les gens ont eu peur d'un climat de délation. Il y a le souvenir de la dernière guerre…"

Une inquiétude qui a freiné également le maire (UMP) d'Altkirch (5 900 habitants), Jean-Luc Reitzer. Lorsqu'il a présenté le projet à son conseil municipal, "le fait de quadriller la ville, de désigner par quartier des responsables, a rappelé des pratiques qu'on aimerait oublier. Ça a choqué". "Et puis qui choisir, comment éviter la subjectivité des référents ?", ajoute-t-il. Le responsable du programme au groupement de gendarmerie du Haut-Rhin, le capitaine Michel Di Girolamo, reconnaît que le "contexte" alsacien, avec le souvenir de la guerre, a plombé la mise en place du dispositif.

D'autant que les maires des cinq communes pilotes ont découvert tardivement qu'ils avaient été choisis. M. Clad n'avait pas fait de demande. Il s'explique le choix de son village par les "bonnes relations" entretenues avec la gendarmerie… Des échanges qui rendent justement, à son sens, tout "dispositif particulier" inutile.

EXEMPLES BRITANNIQUE ET AMÉRICAIN

A Altkirch, M. Reitzer n'était pas volontaire non plus, même s'il apprécie la "sollicitude" de la préfecture, alors qu'il signalait depuis quelques mois aux autorités quelques "soucis" : incivilités, vandalisme de "petits groupes de jeunes qui insultaient les passants, squattaient les espaces verts et la gare". Finalement, l'épisode a été un "petit aiguillon" pour trouver une voie différente : la commune a réorganisé sa police municipale. Grâce à deux emplois aidés, des rondes de nuit ont été instituées.

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A l'autre bout de la France, dans les Hautes-Pyrénées, le préfet a aussi fait le métier. De Bagnères-de-Bigorre à Argelès-Gazost, il a défendu "une implication plus importante" des habitants dans leur propre sécurité, devant des salles parfois clairsemées. A Tarbes, la réunion du 6 juillet dans le quartier de la Gespe s'est bien passée, raconte Roger Calatayud, adjoint au maire (UMP) chargé de la sécurité. Elle n'a pas pour autant abouti à l'élaboration d'un protocole, recommandée par le ministère, ou à la mise en place des "référents" : "Ça n'a pas été jugé utile."

La participation citoyenne, inutile ? Pour Nicolas Comte, secrétaire général du syndicat Unité-SGP-Police (majoritaire), c'est surtout un "copié-collé des exemples britannique et américain qui ne correspond pas à la mentalité française". Le ministère cite d'ailleurs, dans la circulaire du 22 juin, "le “neighbourhood watch” mis en œuvre depuis de nombreuses années aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne".

"CE N'EST PAS TRANSPOSABLE PARTOUT."

Dans la Drôme, citée en exemple par le ministre, la préfecture défend un dispositif "très localisé" et affirme ne pas vouloir "gonfler" la réussite affichée. De fait, sept communes ont appliqué la mesure, dont deux – Donzère, la ville du ministre de l'énergie, Eric Besson, et Loriol – avec un certain succès, selon l'intérieur, qui fait état d'une baisse des cambriolages de 42% à Donzère et de 20% à Loriol en 2010.

Le lieutenant-colonel Philippe Talucier, numéro deux du groupement de gendarmerie de la Drôme, insiste : "Ce n'est pas transposable partout." Seuls des quartiers pavillonnaires, constitués de résidences principales et habités par au moins quelques retraités ou femmes au foyer, pour assurer une "présence dans la journée", ont été sélectionnés. Petit plus, l'existence préalable d'une certaine "cohésion". D'ailleurs, la gendarmerie préfère parler de voisins "solidaires" plutôt que "vigilants".

Une mairie de gauche s'intéresse, prudemment, au dispositif. A Romans-sur-Isère, le maire (PS), Henri Berthollet, discute avec la préfecture : au premier semestre, les cambriolages ont été multipliés par deux et les vols avec effraction par 3,4 par rapport à 2010. "Nous serons attentifs à ne pas faire émerger des personnes déjà surattentives, voire paranoïaques", assure le directeur de la tranquillité publique, Philippe Pourtier. Lors d'une première réunion avec le commissaire, la mairie a insisté : surtout, pas de délation…

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