Vers une cinquième prolongation de l’état d’urgence ? Lettre ouverte aux parlementaires

Mesdames et Messieurs les députées et députés,

Mesdames et Messieurs les sénatrices et sénateurs,

Le gouvernement s’apprête à vous demander de proroger l’état d’urgence jusqu’au 15 juillet prochain. Cette prolongation, la cinquième depuis un an, inclurait la période complète des opérations électorales afin de permettre au nouveau président de la République et au Parlement de se prononcer sur une éventuelle nouvelle prolongation. Au nom de la lutte contre le terrorisme, il vous invite donc à mettre de côté le fonctionnement normal de la République et de ses institutions.

Nous vous adjurons de ne pas le faire et vous demandons, avant d’assumer la lourde responsabilité de votre vote, de vous poser en conscience quelques questions essentielles.

La première, incontournable, est celle de la pertinence de l’état d’urgence au regard des périls à combattre. L’état d’urgence a-t-il été efficace ? Nous ne le pensons pas. Le Premier ministre avance que, depuis le début de l’année 2016, dix-sept attentats ont été déjoués et quatre-cent-vingt individus en lien avec une organisation terroriste interpellés. Mais aucun élément n’est apporté pour justifier que ces résultats aient été permis par l’état d’urgence. Tous les observateurs notent que s’il a été utile, cela n’a été le cas que dans les quelques jours qui ont suivi le 13 novembre. Votre commission de contrôle ne dit pas autre chose. A quoi bon, dans ces conditions, prolonger un dispositif aussi lourd que préoccupant ?

Cette première question en amène une autre : l’état d’urgence est-il de nature à permettre à notre pays d’affronter les défis portés par la période et de mener les débats dont il a besoin ? Nous ne le pensons pas. D’abord parce qu’il minorise notre justice en portant atteinte à la séparation entre le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire. Le gouvernement affirme que les mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence sont sous le contrôle du juge administratif. Mais, dans notre pays, c’est le juge judiciaire qui est le garant des libertés. Il est légitime de s’inquiéter quand le gouvernement accapare de fait le pouvoir législatif et relègue le pouvoir judicaire hors de son rôle de gardien des libertés.

Ensuite, parce qu’il porte atteinte aux droits et aux libertés, sans pour autant pouvoir affirmer assurer toute la sécurité promise. D’un côté, des milliers de personnes ont été perquisitionnées dans des conditions largement dénoncées, ou assignées à résidence sans pouvoir faire appel à un juge judiciaire. Aujourd’hui encore, l’état d’urgence sert à d’autres fins que la lutte contre les auteurs d’actes de terrorisme et les pouvoirs publics ont interdit des manifestations, assigné à résidence des militants politiques, ou les ont interdits de manifestation. D’un autre côté, les services publics de la sécurité se plaignent de cette surmobilisation permanente, arguant qu’elle ne permet pas de faire face à leurs tâches. Enfin, et nous touchons là à la qualité de vie de notre démocratie, les citoyennes et les citoyens s’habituent peu ou prou à ce que le pouvoir exécutif dispose de pouvoirs exceptionnels peu ou mal contrôlés et utilisés.

Ce qui amène à une dernière question : cette prorogation est-elle compatible avec une démocratie vivante et dynamique ? Nous ne le pensons pas. L’état d’urgence et ses errances contribuent au renforcement d’un état d’esprit détestable dans le pays, nourrissent tous les amalgames et les tensions qui les accompagnent, alimentent les pratiques discriminatoires à l’égard de femmes et d’hommes déjà stigmatisés en raison de leur origine et/ou leur religion réelle ou supposée.

La France est confrontée, comme d’autres pays, à des attaques terroristes répétées et elle se doit d’assurer sa protection, celle de ses enfants, celle de son Etat de droit et de sa démocratie.

C’est parce que nous avons la conviction profonde que les trois sont inséparables que nous vous demandons instamment de ne pas suivre la demande gouvernementale et de vous opposer à la reconduction de cet état d’exception.

C’est parce que nous sommes déterminés à défendre la démocratie, les droits et les libertés que nous attirons votre attention sur les autres choix nécessaires pour combattre le terrorisme. Cette lutte passe par le développement de moyens humains et matériels adaptés pour les services publics de la police et de la justice, par une coopération de ces moyens à l’échelle européenne, par une dynamique de règlement des conflits à l’échelle internationale.

Souhaitant que nos préoccupations soient prises en compte, nous vous prions d’agréer, Mesdames et Messieurs, l’expression de notre considération distinguée.

 

Françoise Dumont
Présidente de la LDH

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