LDH Tours et Indre & Loire

Homophobie : une discrimination intolérable ; Agnès Tricoire

Hommes et Libertés n°109 - avril/mai 2000

avril 2000 par Sebastien

L’idée d’une législation permettant de poursuivre en justice les insultes ou les discriminations homophobes rencontre de plus en plus d’échos. Après une proposition de loi déposée en novembre 1999 par François Léotard en réaction aux déclarations de la députée UDF Christine Boutin, les députés du Parti communiste ont déposé le 9 février 2000 un texte qui s’inspire du Manifeste pour une stratégie contre l’homophobie lancé par un collectif d’associations dont Act-Up, AIDES, SOS-Homophobie et la Ligue des droits de l’homme. Il est vraisemblable qu’une proposition de loi sur ce thème sera inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale à l’automne.

Tous les hommes et toutes les femmes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Si nous savons depuis fort longtemps ce qu’est le sexisme, « discrimination des êtres humains selon leur sexe », il reste à définir l’homophobie comme « toute discrimination intellectuelle entre l’hétérosexualité et l’homosexualité au profit de la première » et à la réprimer par la loi.

Quand il s’est agi de définir les termes d’une proposition de loi répressive, il est apparu impossible d’interdire à ceux qui pensent, disent et écrivent que les homosexuels ne doivent pas avoir les mêmes droits que les hétérosexuels, de le faire. La liberté d’expression doit rester la règle. Les associations de défense des droits des homosexuels préfèrent mener un combat politique consistant à procéder davantage par prévention et information que par interdiction. En revanche, contre ceux qui considèrent que l’homosexualité est une tare, un vice, une maladie, contre ceux qui s’expriment avec haine, dans le but de nuire aux homosexuels, contre ceux qui utilisent des moyens agressifs pour soutenir leur combat anti-égalitariste, l’absence d’outil répressif se fait actuellement sentir.

Car être discriminé pour ce qu’on est, c’est être la cible d’une idéologie qui pénètre l’esprit , fragilise les victimes de ce discours et mine leur confiance en eux-mêmes. Un nombre important de suicides chez les adolescents est dû à l’impossibilité d’assumer la révélation de leur homosexualité. Tant que l’insulte est aussi répandue, tant que le mépris et l’invective restent « un droit », la souffrance est intensément vivante, même si elle est souvent cachée.

Une pénalisation nécessaire

Aussi le collectif d’associations auquel a participé la LDH a-t-il proposé d’ajouter aux discriminations prévues par le code pénal et spécialement réprimées lorsqu’elles s’exercent pour refuser un bien, un service ou un travail en raison des origines, de la religion, etc., les motifs de discrimination suivants : « l’orientation sexuelle, vraie ou supposée », (les termes « sexe vrai ou supposé » ayant été ajoutés pour envisager les situations de discriminations contre les transsexuels).

Par ailleurs, en droit de la presse, une réforme apparaît également nécessaire. Aujourd’hui, la provocation à la haine des homosexuels n’entre pas dans le champ de la répression, sauf évidemment si la provocation est directe et suivie d’effet, auquel cas elle devient « complicité de crime » réprimée à l’article 23 de la loi sur la presse. Lorsqu’elle n’est pas nécessairement suivie d’effet, la provocation à la discrimination, à la haine, à la violence par voie de presse, en tant que provocation à commettre un délit, devrait être réprimée lorsqu’elle repose sur l’orientation sexuelle vraie ou supposée. De même, la diffamation à l’encontre d’ une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur orientation sexuelle devrait être expressément réprimée.

La diffamation en raison de l’orientation sexuelle n’entraîne pas forcément un acte de nature à provoquer à la violence ou à la haine. Diffamer, c’est imputer un fait précis de nature à porter atteinte à l’honneur ou à la considération d’une personne. Pour l’apprécier, on se tourne non pas vers le public, lequel pourrait être incité à être violent, discriminant ou à haïr, mais vers la victime potentielle. Actuellement, la jurisprudence considère que le fait de qualifier quelqu’un d’homosexuel est diffamatoire (cour d’appel de Paris, 20 février 1986), mais, à l’inverse, la loi ne permet pas à un groupe de personnes qui se sentent diffamées en raison de leur orientation sexuelle de porter plainte. À titre d’exemple, la plainte du Centre gai et lesbien contre un dessin paru dans Présent, journal d’extrême droite, représentant un couple d’hommes tendant les bras à un petit garçon en lui disant : « N’aie pas peur, on va t’accueillir... à draps ouverts », a été jugée irrecevable. Car selon la loi actuelle, personne n’ayant été visé nommément, personne n’a été diffamé. Ce journal peut donc affirmer en toute impunité, que si les homosexuels désirent adopter des enfants, c’est pour assouvir leurs pulsions pédophiles.

Les associations partie civile

C’est pourquoi il est nécessaire que soient réprimées la diffamation et l’injure commises contre une personne ou un groupe de personnes en raison de leur sexe ou de leur orientation sexuelle. Le texte soumis aux députés propose que, pour faciliter l’accès à la justice des victimes, toute association régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans à la date des faits, se proposant dans ses statuts de combattre l’homophobie, les discriminations fondées sur les mœurs ou l’orientation sexuelle vraie ou supposée, puisse exercer les droits reconnus à la partie civile. Cette proposition s’inspire de la jurisprudence de la Cour de cassation, concernant les associations qui ont pour objet de lutter contre les discriminations spécifiques existantes (le racisme par exemple), qui a retenu que les statuts originaux ou modifiés doivent avoir été enregistrés depuis au moins cinq ans.

Ce combat n’est pas celui d’une minorité revendicative. Quand bien même son objet n’aurait été que de lutter contre l’homophobie, ce combat n’est pas communautariste, car il ne revendique pas de droit spécifique pour les gais et les lesbiennes. En effet, ce n’est que parce que les gais et les lesbiennes sont attaqués en raison de leur sexualité qu’ils sont considérés comme une minorité par rapport aux hétérosexuels. Ce n’est qu’en réaction à des persécutions et à une ségrégation encore parfois très vive que les homosexuels se sont regroupés géographiquement, intellectuellement, associativement, pour pouvoir oublier le regard réprobateur, se mettre à l’abri, et pour réfléchir ensemble, enfin pour résister. Mais ce statut (assigné) de minorité en fait-il pour autant une communauté ? S’il y a une communauté homosexuelle, alors il y a une communauté hétérosexuelle ! Les femmes, qui, elles aussi, ont encore besoin d’être défendues et soutenues lorsqu’elles sont discriminées en tant que femmes, forment-elles pour autant une communauté ? Le terme de communauté permet d’alimenter bien des fantasmes, de justifier la peur, la répression, en changeant l’« altérité » en « extranéité ».

C’est pourquoi il est particulièrement important que la lutte contre l’homophobie et les discriminations sur la base de l’orientation sexuelle devienne un enjeu des droits de l’homme en général. Il est en effet de notre devoir à tous, militants pour les droits de l’homme, de tout faire pour que les homosexuels ne soient plus des victimes sans défense de la hargne et de la bêtise. Il est nécessaire de pouvoir dénoncer ceux qui, ayant franchi les limites de l’acceptable et du légal, tentent de brandir la religion, quelle qu’elle soit (on a vu, le 31 janvier 1999, lors de la manifestation homophobe de Mme Boutin, défiler des autorités religieuses musulmanes aux côtés de catholiques intégristes), à la face des homosexuels qu’ils prétendent indignes de l’égalité, parce que « malades, pervers, déviants, pédophiles »… Ce combat est celui de tous ceux qui militent pour l’égalité.

Agnès TRICOIRE, avocate


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