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La vidéosurveillance est-elle efficace ?

Alors que Martin Hirsch vient de proposer d’augmenter le nombre de caméras dans les hôpitaux, l’efficacité de ce dispositif continue de poser questions.

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Publié le 17 mai 2018 à 17h08, modifié le 17 mai 2018 à 17h24

Temps de Lecture 6 min.

Caméras de surveillance sur la voie publique, à Cognac (Charente).

Plus de camĂ©ras dans les hĂ´pitaux d’Ile-de-France : le directeur gĂ©nĂ©ral de l’Assistance publique-HĂ´pitaux de Paris (AP-HP), Martin Hirsch, a proposĂ© d’étendre de 40 % le dispositif de vidĂ©osurveillance. « Plus de 1 500 [camĂ©ras] au total, installĂ©es d’ici Ă  trois ans, lĂ  oĂą les Ă©quipes estiment en avoir besoin Â», dĂ©crit-il dans une interview au Parisien, mardi 15 mai. Ce plan estimĂ© Ă  30 millions d’euros arrive en rĂ©ponse aux soignants excĂ©dĂ©s par les violences verbales et physiques qu’ils subissent sur leur lieu de travail.

Bonne ou mauvaise idĂ©e ? Difficile Ă  dire car, en France, la vidĂ©osurveillance n’est pas très… surveillĂ©e. Elle est pourtant coĂ»teuse et empiète sur la vie privĂ©e des individus. Dès 2011, la Cour des comptes s’agaçait de l’absence d’évaluation de son efficacitĂ©. « Les diffĂ©rentes Ă©tudes conduites Ă  l’étranger, notamment au Royaume-Uni, aux Etats-Unis et en Australie, ne dĂ©montrent pas globalement l’efficacitĂ© de la vidĂ©osurveillance de la voie publique Â», s’inquiĂ©tait-elle mĂŞme dans son rapport.

En 2009, le ministère de l’intĂ©rieur avait certes publiĂ© un audit censĂ© dĂ©montrer l’efficacitĂ© de la vidĂ©osurveillance sur le taux de dĂ©linquance et l’élucidation des infractions. Ce document notamment relayĂ© par Le Figaro est jugĂ© non pertinent par de nombreux chercheurs en raison d’erreurs mĂ©thodologiques.

A l’inverse, des études anglo-saxonnes plus solides, ainsi qu’une récente enquête menée en France par le sociologue Laurent Mucchielli, directeur de recherches au CNRS, tendent à démontrer la faible efficacité de la vidéosurveillance.

  • A-t-elle un effet dissuasif sur les dĂ©linquants ?

Cela dépend des cas

Bien malin celui qui saurait compter les infractions qui n’ont pas Ă©tĂ© commises du fait de ce dispositif. Il est malgrĂ© tout possible d’évaluer l’effet dissuasif probable de la vidĂ©osurveillance. Laurent Mucchielli a menĂ© une enquĂŞte de terrain dans trois villes françaises qu’il raconte dans son livre Vous ĂŞtes filmĂ©s ! (Armand Colin, mars 2018). Pour les anonymiser, il les appelle Beau-Rivage (7 500 habitants), Saint-Paul-la-Rivière (20 000) et Mega City (860 000) (que l’on devine ĂŞtre Marseille). « Il n’y a pas d’impact dissuasif global, explique le chercheur, notamment parce que la vidĂ©osurveillance s’est banalisĂ©e. Â» En 1999, seules soixante communes disposaient de camĂ©ras filmant l’espace public ; en 2009, elles Ă©taient plus de 2 000, selon le site du Cairn. Aujourd’hui, 80 % des villes moyennes sont Ă©quipĂ©es. « Dans mon dĂ©partement, les Bouches-du-RhĂ´ne, entre 85 et 90 % des communes sont Ă©quipĂ©es, Ă  des degrĂ©s divers Â», rappelle le chercheur.

A l’inverse, le rapport de 2009 — Ă  la mĂ©thodologie controversĂ©e — du ministère de l’intĂ©rieur estimait que « la dĂ©linquance a baissĂ© en moyenne plus fortement dans les communes Ă©quipĂ©es de vidĂ©oprotection que dans celles qui ne disposent pas de vidĂ©oprotection urbaine Â». Pour arriver Ă  cette conclusion, le ministère comparait le taux d’évolution de la dĂ©linquance dans les villes vidĂ©osurveillĂ©es par rapport au taux national, dans trois catĂ©gories : « dĂ©linquance de proximitĂ© Â», « atteintes aux biens Â», « atteintes volontaires aux personnes Â». Il ne se focalisait donc pas sur les infractions commises sur la voie publique dans les villes surveillĂ©es et non surveillĂ©es, or c’est bien ce lieu qui est surveillĂ© par les camĂ©ras. Par exemple, la catĂ©gorie atteintes volontaires aux personnes inclut les violences conjugales ou intrafamiliales, pour lesquelles la vidĂ©osurveillance ne peut avoir jouĂ© un rĂ´le.

Le rapport ne soustrayait pas non plus les autres facteurs de baisse de la dĂ©linquance, comme l’augmentation du nombre de policiers dans les rues de telle ou telle ville. Les auteurs du rapport le reconnaissent eux-mĂŞmes en prĂ©ambule : « L’impact exclusif de la vidĂ©oprotection est difficile Ă  isoler. Â»

L’effet dissuasif varie selon les infractions. Les infractions impulsives, comme les altercations suite Ă  une dispute, ou celles liĂ©es Ă  l’alcool, sont « moins susceptibles d’être rĂ©duites que les infractions prĂ©mĂ©ditĂ©es, telles que les vols de vĂ©hicules Â», explique en 2005 l’étude Assessing the Impact of CCTV, portant sur la ville de Londres. Pour M. Mucchielli, les infractions commises dans les hĂ´pitaux par des patients Ă  l’encontre du personnel entrent bien souvent dans cette catĂ©gorie.

  • Protège-t-elle du terrorisme ?

Non

Aucune Ă©tude ne permet de l’affirmer. Nice, la ville la plus vidĂ©osurveillĂ©e de France, a ainsi subi une attaque au camion bĂ©lier le 14 juillet 2016. Un an et demi plus tĂ´t, son maire, Christian Estrosi, avait pourtant dĂ©clarĂ©, Ă  propos des tueries de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher : « Si Paris avait Ă©tĂ© Ă©quipĂ©e du mĂŞme rĂ©seau [de camĂ©ras] que le nĂ´tre, les frères Kouachi n’auraient pas passĂ© trois carrefours sans ĂŞtre neutralisĂ©s et interpellĂ©s. Â»

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A Paris, le vaste rĂ©seau de camĂ©ras ne semble pas faire peur aux terroristes. La RATP est dotĂ©e du plus important rĂ©seau de vidĂ©osurveillance d’Ile-de-France, avec près de 40 000 camĂ©ras dans les bus, le RER et le mĂ©tro. Par exemple, l’instigateur prĂ©sumĂ© des attentats du 13 novembre 2015, Abdelhamid Abaaoud, a pris le mĂ©tro moins d’une heure après le dĂ©but des attaques. Il a Ă©tĂ© filmĂ© par les camĂ©ras de la RATP Ă  la station Croix-de-Chavaux, sur la ligne 9, Ă  Montreuil-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) alors qu’il franchissait illĂ©galement un portique, sans ticket.

Cartographie collaborative des caméras de surveillance à Paris filmant la voie publique.

Parmi les arguments avancĂ©s par les personnes pour l’utilisation de camĂ©ras : la vidĂ©osurveillance serait plus efficace couplĂ©e Ă  de la reconnaissance faciale, afin d’empĂŞcher un individu fichĂ© de commettre un attentat. Pour rappel, la Commission nationale de l’informatique et des libertĂ©s (CNIL) a autorisĂ© la reconnaissance faciale avant d’embarquer dans l’Eurostar, gare du Nord, Ă  Paris. Le dispositif fonctionne depuis 2017 et prend la forme de sas spĂ©cifiques au contrĂ´le des passeports (la photographie du passeport est automatiquement comparĂ©e au visage du passager). MĂŞme dĂ©cision pour les aĂ©roports Paris - Charles-de-Gaulle et Orly, le dispositif devant entrer en fonction en juillet 2018.

Pour autant, la CNIL n’est pas favorable Ă  la gĂ©nĂ©ralisation de la reconnaissance faciale dans tous les lieux publics. « Si cette technologie n’en est qu’à ses balbutiements, il importe de comprendre que son caractère intrusif est croissant puisque la libertĂ© d’aller et venir anonymement pourrait ĂŞtre remise en cause Â», prĂ©vient-elle sur son site.

La vidéosurveillance peut, en tout cas, accélérer le travail des enquêteurs après qu’un attentat a été commis. Après le massacre de Nice, l’itinéraire du criminel avant le drame a ainsi été retracé grâce aux caméras.

  • RĂ©duit-elle la dĂ©linquance sans la dĂ©placer ?

Non

La vidĂ©osurveillance a tendance Ă  dĂ©placer la dĂ©linquance dans les zones limitrophes non Ă©quipĂ©es de camĂ©ras. « Toutes les Ă©tudes anglo-saxonnes le dĂ©montrent Â», assure l’expert Laurent Mucchielli. Birmingham, deuxième ville la plus peuplĂ©e d’Angleterre, constitue un cas emblĂ©matique. Une Ă©tude anglo-saxonne de 1995 montre que le nombre de vols Ă  l’arrachĂ© et cambriolages y a triplĂ© dans la partie de l’agglomĂ©ration non couverte par les camĂ©ras, après la mise en place de la vidĂ©osurveillance. Le taux de dĂ©placement est variable selon les villes et le type d’infraction Ă©tudiĂ©s.

Etude « Circuit Television in Town Centres: Three Case Studies, Crime Prevention », 1995.

Les camĂ©ras crĂ©ent aussi des dĂ©placements non pas gĂ©ographiques mais « fonctionnels Â» (le mĂŞme dĂ©linquant commet un dĂ©lit de nature diffĂ©rente). A Birmingham, sur la pĂ©riode Ă©tudiĂ©e, « lĂ  oĂą une couverture vidĂ©o existe, les auteurs de vols Ă  l’arrachĂ© ou de cambriolages ont reportĂ© leurs activitĂ©s sur les vols dans les vĂ©hicules Â», pointent Eric Heilmann, maĂ®tre de confĂ©rences Ă  l’universitĂ© Louis-Pasteur de Strasbourg, et Marie-NoĂ«lle Mornet, doctorante Ă  l’universitĂ© Robert-Schuman de Strasbourg, dans leur rapport intitulĂ© « L’Impact de la vidĂ©osurveillance sur les dĂ©sordres urbains, le cas de la Grande-Bretagne Â».

D’après le rapport controversĂ© du ministère de l’intĂ©rieur de 2009, le « dĂ©placement de la dĂ©linquance des zones sous vidĂ©oprotection vers les zones non couvertes, ne semble pas avĂ©rĂ© Â». Pour arriver Ă  ces conclusions, le ministère s’appuie essentiellement sur des tĂ©moignages des forces de l’ordre : « 48 % des circonscriptions de sĂ©curitĂ© publique estiment qu’il est nul, 52 % estiment qu’il existe, mais ne sont pas en mesure de l’évaluer Â», chiffre l’étude.

  • Aide-t-elle Ă  Ă©lucider les infractions ?

Oui… mais dans très peu de cas

Dans son enquĂŞte, Laurent Mucchielli dĂ©montre que les camĂ©ras n’aident Ă  Ă©lucider que 1 % Ă  3 % des infractions commises sur la voie publique. « A Marseille, sur un an, il y a eu 60 000 enquĂŞtes pour infractions sur la voie publique, explique le chercheur. Pour ces enquĂŞtes, il y a eu seulement 1 850 rĂ©quisitions d’images au centre de vidĂ©osurveillance de la ville. Au final, les images n’ont Ă©tĂ© dĂ©cisives que dans cent trois affaires. Â»

Le rapport controversĂ© du ministère de 2009 reconnaĂ®t mĂŞme que l’impact des camĂ©ras sur le taux d’élucidation dans les villes Ă©quipĂ©es « reste encore modĂ©rĂ© Â». Il s’appuie sur les chiffres suivants : sur les 63 brigades de gendarmerie Ă©tudiĂ©es, 770 faits ont Ă©tĂ© Ă©lucidĂ©s grâce Ă  la vidĂ©osurveillance en 2008, soit seulement une moyenne d’un fait par mois et par brigade.

Pour aller plus loin sur la vidéosurveillance

« Vous êtes filmés ! », par Laurent Mucchielli, Armand Colin, 2018.

« Vidéosurveillance et vidéoprotection, petit rappel en ces temps de violence terroriste »,, par Olivier de Maison Rouge, Village Justice, 2016.

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